Bivouac
Initié par le collectif Labor, l'appel à projet Bivouac rassemblera, à l'automne 2020, une quinzaine de projets d'art et d'architecture, dans un site peu connu en plein coeur de Lausanne. Il s'agit d'investir un bâtiment-quartier de 50 000 m2, de le faire découvrir aux lausannois, par le biais de visites guidées. Une résidence est proposée aux artistes sélectionnés 10 jours avant l'ouverture de l'exposition.
C'est Mathilde qui me propose ce projet. Malgré les incertitudes du moment, et même grâce à ce temps inédit, nous nous lançons ensemble dans l'aventure.
DANSER COMME UNE MONTAGNE
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Ce qui nous inspire
Mathilde : Dans mon travail, la fragilité est évoquée par des matières/surfaces qui se sédimentent, se détériorent en subissant l'impact des éléments naturels qui vont venir les transformer. Je crée aussi des objets/textiles qui sont amenés à se déliter au fil du temps, qui ne sont pas "solides" si on peut le dire comme ça.. par exemple mes surfaces cristallisés sont amenés à s'effriter, tout comme certains textiles que j'ai commencé à couvrir d'argile. Mais je sais pas si cette conception de la fragilité peut vraiment trouver sa place dans ce sujet si ?
Pour toi c'est plus la fragilité liée à l'équilibre des corps, des poids ? Dis moi un peu comment tu l'envisages ?


Louise : Les textiles que tu couvres d'argile m'intéressent. Je les imagine s'assécher et faire des craquèlements, un peu comme le sol d'un désert. J'avais observé des phénomènes comme ça avec le plâtre, dans le couloir à Dup, je pense que tu avais vu. Le fait d'utiliser de l'argile m'a fait pensé que ça peut être une ressource qu'on trouverait à proximité du site (sous-sol, lac...?).
Et du coup, ça ouvre la question des matériaux : quelles matières trouve-t-on sur place ? Il s'agit d'un projet à grande échelle (50 000m2!), on peut avoir besoin de grandes quantités...
> se casse facilement
> caractère précaire, vulnérable, faible et instable
> rupture du matériau sans déformation, ou très faible déformation.

Antonymes : résistance, solidité, permanence, inébranlable.
FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE - FRAGILE -
Louise : C'est vrai que mon rapport à la fragilité passe par la notion d'équilibre, qui est remis en question, toujours instable, ou penché...
Je questionne aussi le rapport au paysage, la fragilité de l'homme face aux forces physiques de la nature. C'est la question des échelles, du minuscule face au tout petit, et de comment trouver des équilibres avec des tailles, des poids, des forces très différents. J'aime ce qui est précaire : ce qui tient mais menace de tomber, la tension entre équilibre et déséquilibre. Cette fragilité-là peut se traduire aussi dans deux corps qui essaient de tenir ensemble, à la manière des One minute sculptures de Wurm. Ces derniers mois, j'ai pas mal travaillé avec la notion d'étirement, notamment avec des tissus élastiques et des pierres, et je me demandais : Quand est-ce que ça craque ?
Les techniques que nous maîtrisons à nous deux : teinture naturelle - plâtre - vêtements, volumes, patrons - impressions et photographie - danse - couleurs - matières (verre, textiles, argiles...) - cristallisation - organisation de l'espace...
Mathilde : J'aime beaucoup ce rapport aux forces que tu as, face aux éléments, aux forces physiques de la nature dont tu parles. Je pense que ça peut être vraiment porteur pour le projet ! Dans cette idée il y a aussi un rapport à la sécheresse que tu évoques dans ton mémoire. Nous pourrions avoir recours à des matériaux arides, cassants, desséchés qui semblent affaiblis, presque friables. Cela peut rejoindre aussi des problématiques environnementales liées à l'épuisement de nos ressources en eau. L'utilisation de matériaux déshydratés qui entrent alors en décomposition et qui fragilisent la structure...

J'aime bien la question "quand est-ce que ça craque ?", ça donne envie de titiller les limites de la fragilité, d'être radicale !
Peut-être que dans cette idée on pourra (quand on sera libérées de se confinement) faire des expériences autour de cette structure que nous aurons imaginée en la maltraitant pour tester ses limites, l'amener à se briser...
Mais lorsque l'évaporation enlève l'eau de l'argile, celle-ci perd ses qualités, se fendille, s'émiette; l'œuvre que la main de l'artiste ou de l'artisan a créée directement est de brève durée si l'on ne trouve le moyen de conserver l'invention périssable. − L'argile est malléable quand elle est froide et humide, mais elle acquiert une dureté remarquable aux grandes chaleurs; on rend donc l'œuvre quasiment inaltérable grâce à la cuisson : la forme éphémère devient ainsi apte à traverser les siècles.
G. Fontaine, La Céram. fr.,1965, p. 1.
En laissant place à l'instable, au fragile, à l'éphémère, accepter cette part d'incertitudes, de petitesse de l'homme face aux forces de la nature pour mieux cohabiter avec elle dans un rapport plus égale et non de domination.
Faire modestement.
Mathilde : Pour l'argile je me disais qu'on peut l'utiliser de différentes manières :
- soit il est la structure elle-même qui va venir se dissoudre par action de l'eau
- soit il vient en recouvrement d'une surface qui sera dévoilée par action de l'eau
- soit il permet d'unir des éléments entre eux, et ainsi la structure est de plus en plus fragile au fur et à mesure que l'eau est versée et cela conduit peut-être à sa destruction (?)


Louise : Pour la dimension performative, ça pourrait être simplement nous en train d'appliquer de nouvelles couches de pâte pendant l'exposition. On nous qui allons chercher de l'eau au lac Léman et qui faisons les aller-retour pour humidifier notre structure... un truc comme ça ? Et ça peut devenir interactif avec le public, si chacun amène son "verre d'eau" par exemple..
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Correspondance
Recherches &
Propositions
Fragilité
Lausanne, 1940
est né en réunissant nos savoirs-faire et nos envies autour du projet Bivouac.
L'aspect temporaire, éphémère et fragile d'un Bivouac est lié à une conscience du paysage : se mettre à son écoute, faire avec lui et pouvoir tout lui rendre.
C'est à partir de la fragilité, de la recherche d'équilibre face à l'instabilité, que nous avons réfléchi le projet. L'installation que nous proposons questionne un rapport à la terre (minérale), au bois et à leur changements d'état par l'apport d'eau. Inondations et sècheresse sont des facteurs communicants de destruction, d'effondrement dans notre monde aujourd'hui, qu'il s'agisse d'un monde naturel autant que de constructions humaines. Jouer avec la fragilité d'une construction architecturale plutôt que de tenter la solidification. Montrer ses défauts, accentuer les faiblesses d'une construction qui dépend d'éléments naturels.
C'est en plein air, sur les terrasses du bâtiment de La Rasude, au plein centre de la ville de Lausanne que prend place l'installation, entourée du Lac Léman, des forêts et des sols argileux qui constituent le territoire lausannois.

L'installation
L'installation se présente sous la forme de plusieurs modules dispersés dans l'espace. Chaque module est constitué de perches verticales tenues à leur pied par des monticules de terre fraîchement recueillie, et reliées à leur sommet par des cordelettes et des tentures colorées. Une sorte d’auvent, de toiles d’ombrage, de canopée qui fait écho à l'univers du bivouac, du campement. Un muret de terre/sable entoure l'installation et prévoit, le plus simplement possible, l'absorption d'une inondation à venir.
Traversant plusieurs phases, l'oeuvre évolue au fur et à mesure de son exposition par la présence de phénomènes naturels. Le pied de chaque module est arrosé les premiers jours, avant que vents et soleil ne viennent assécher l'argile. À moins que la pluie s'y mêle...
Par l'ajout d'eau, les monticules d'argiles fondent peu à peu et créent des flaques de boue, tout en fragilisant la tenue des perches et des tentures. Par l'assèchement, des motifs se forment au sol et l'argile sèche, offrant des jeux de couleur,. La structure est renforcée par cette terre durcie, mais jusqu'à quand ? Des fissures apparaissent. L'installation va-t-elle tenir ?

Organisation et construction

- 5 jours sur place : prélèvement parcimonieux des matières (argile, bois et eau), travail des perches de bois (sculpture, teinture), préparation de l'argile (+ teinte de l'argile).

- En amont :
tests teinture sur bois, avec intervention d'un ébéniste spécialisé ds la teinture.
tenture et fils en coton, teints en amont (teintures naturelles à base d'extraits de fleur et de bois du coin)
construction de la structure, prise en compte du climat, de l'environnement

- Démontage : tout revient à sa source, l’argile à la terre, le bois à la forêt


Budget à définir
Le projet
une installation qui s'effondre, qui fond ?
maquette de recherche sur les proportions et l'équilibre
Des monticules de terre crue retiennent des perches, qui elles maintiennent des tentures.
De l'argile alourdit les tissus, jeux de séchage et d'humidification de l'argile.
Première version à l'origine du projet final.
Des envies de tentures, de structures types "bivouac" comme les tipis
Jouer avec les couleurs de l'argile. Tests de marbrage en pâte à modeler.
Et si la "fonte" de la terre révélait une structure travaillée, en osier par exemple ?
Ou une coloration particulière du bois, sous la terre ?
Tester la structure en petit avec les bons matériaux.
Test de séchage, observation des fissures et du changement de couleur de la terre.
Test d'humidification de la structure. Un muret de farine entoure le module, il absorbe le trop-plein d'eau. Observation des tâches formées par l'argile humide.
Matta-Clark
Habitations et structures d'argile
Goldworthy
Cattelain
Polk
Kawamata
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Vue rapprochée de l'installation, une fois asséchée.
La terre sèche, les couleurs changent.
Évolution de l'installation au fur et à mesure des jours :
installation de départ
inondation
assèchement
Blazy